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Bribes abattues
Bribes abattues
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3 octobre 2006

Toutes les cinq minutes

I’m not the man you think I am
And pretty girls make graves

Toutes les cinq minutes, l’extinction de l’écran de mon ordinateur me rappelle que je n’ai plus rien à dire. J’ai usé chaque maigre idée jusqu’à la corne, jusqu’à la redondance, même. Je suis vide. Les années ont passé, semblables les unes aux autres : écriture acharnée, des suites de mots sans queue ni tête qui ont fait des livres. Des livres aussi vides que leur auteur. Mais toujours en rupture de stock.

J’aurais voulu écrire La Confusion des Sentiments, Le Grand Nulle Part ou Voyage de Noces, déambuler dans ces rues de Paris qui vous racontent une histoire, au milieu de fantômes et de souvenirs qui ne vous appartiennent pas. Au lieu de ça, j’ai publié 3615, j’ai été fêté comme une pop star capricieuse dans des endroits trop éclairés et par des personnages trop attentionnés pour être vrais. Mon succès, c’est un pari de snobinard qui a mal tourné : tout s’est déroulé comme prévu. J’avais signé dans une maison d’édition prisée des milieux verbeux, on fêtait mes livres au champagne dans des soirées pailletées. Aujourd’hui, même Gérard Miller en dit le plus grand bien. J’ai touché le fond.

Quand j’ai déclaré que j’aimais le rock ou un certain cinéma, j’ai reçu des propositions pour écrire des paroles de chanson pour l’Idole des jeunes – dont aurait pu faire partie mon père ; on m’a fait partager des couvertures de magazines avec Emmanuelle Béart ou Obispo en lieu et place de Lynch ou Morrissey. Finalement, je ne m’appartiens plus ; je suis l’image des autres, de tous ceux qui m’ont accepté, dégrossi puis exposé.

Mais je suis un fruit que j’ai activement participé à cultiver. Je suis une pomme bleue tombée d’une branche pourrie. J’ai mes entrées à Deauville, à Saint-Trop’ et dans tous les carrés VIP de la capitale, autant d’endroits qui me sont étrangers. J’y entre comme une ombre et en ressort transparent, aussi vide qu’eux. Je fais la bise à un DJ millionnaire avec vue sur l’océan et j’ai baisé avec des mannequins sans nationalité, avant de retourner bronzer sur une plage privée. On a beau avoir déplacé Saint-Germain à Belleville, c’est toujours sur les Champs Elysées que l’on échoue, carte Premier en main. Je leur dois tout ce que j’ai ; l’ardoise s’est allongée. Et plutôt « qu’allumer le feu » avec une bûche décrépie, je préfère aujourd’hui pisser sur la flammèche qu’on a allumée au-dessus de ma tête et, à défaut de ce que je n’ai pas eu, récupérer ce j’ai perdu.

*

En 1990, j’habitais une studette, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, près du Point Virgule. Je venais de quitter le cocon familial avec l’aide de ma mère et l’assentiment de mon père, tous deux continuant à subvenir partiellement à mes besoins. J’avais l’illusion de découvrir la liberté et d’avoir pris mon envol. Je perdais certaines de mes soirées à traîner vers le BHV ou dans cette librairie ouverte jusqu’à minuit que tenait une jeune femme aux cheveux noirs et qui avait des airs de Louise Brooks diaphane.

Inscrit dans une faculté de Droit, j’avais passé le plus clair de mes heures de cours à dormir et à écrire mon premier roman intitulé La Gêneuse. Je n’en ai gardé aucun exemplaire, mais je crois me souvenir qu’il parlait déjà de Fanny, un être irréel, rêvé, qui venait troubler la quiétude d’un homme laissant s’écouler le temps au bord de l’océan. A la fin du livre, l’homme tiraillé entre son envie de solitude et son besoin d’amour perdait fatalement le second et retournait à une vie solitaire qui, de désirée, devenait imposée et donc insupportable.

J’avais acheté un guide (qui ne devait servir qu’aux auteurs ratés, je pense) dans lequel j’avais pioché une bonne dizaine d’adresses d’éditeurs parisiens. Un seul répondit positivement. Il me proposait un rendez-vous afin de discuter les modalités d’édition de mon roman. J’appelai immédiatement Fanny, excité comme un gosse. Personne n’a jamais partagé mes joies et mes peines avec autant de sincérité que Fanny, ni avant ni après. Puis un second coup de téléphone, plus fébrile, celui-là, et rendez-vous fut pris.

Je serais bien incapable de reconnaître le type qui me reçut, ce jour-là. Il a pourtant brisé en quelques minutes un rêve encore chaud. Je crois qu’il devait avoir une quarantaine d’années et autant de cheveux. Il se tenait dans un costume marron, derrière un bureau si large qu’il était impossible de lui serrer la main sans se pencher exagérément. J’avais déjà naïvement préparé les conditions d’édition de mon livre : j’exigeais que la couverture soit une illustration faite par Fanny. L’affaire fut convenue en quelques minutes : je n’allais pas demander à mon entourage les quelques milliers de francs qui devaient financer l’édition de mon bouquin. Pas plus que je n’allais passer dans les travées de l’amphithéâtre pour tenter d’écouler les 500 premiers exemplaires au-delà desquels je rentrerais dans mes frais, malgré l’insistance avec laquelle le type en costume marron essaya de m’en persuader.

La Gêneuse prit dans mon esprit la même place que celle qu’elle avait dû occuper, quelques semaines auparavant, chez tous les éditeurs qui l’avaient reçue : poubelle. Et comme pour un mariage raté, les premiers temps sont difficiles, puis on refait surface. Et on rempile avec cette même certitude idiote que précédemment, comme s’il pouvait exister plus d’un amour véritable dans une vie.

Toutefois, je pris le parti de calculer et d’augmenter les chances de vie de mon second roman. Quelques mois plus tard, ma vieille imprimante accouchait en hurlant d’un bâtard sans titre qui se voulait être un Modiano noir auquel il ne manquait, finalement, que le talent de l’original. Trois fois rien, en somme.

Ce second essai eut forcément le même succès que son prédécesseur.

*

Quelques mois ont passé, durant lesquels j’ai lu quelques livres qui sortaient alors dans cette maison d’édition qui tournait le dos à la rue de Rennes. Des livres chiants et déstructurés - on dit "expérimentaux", parfois. J’en ai repris quelques idées. Le très banal et très longuet voyage en RER jusqu’à Bagneux d’Untel ; les paragraphes sans ponctuation d’un autre. Les phrases sans verbe ni sujet d’une troisième. J’ai mixé l’ensemble, j’ai essayé d’y mettre ne serait-ce qu’un zeste de moi, un zeste incongru, un faux frère qui ne partageait pas le même sang. Et la greffe a pris. On lui a fait un premier contrat, un article dans Libération, un autre dans les Inrockuptibles, puis de multiples chèques. La clairvoyance n’est pas plus affaire d’âge ou de fraîcheur d’esprit que d'expertise. Il n’y a que d’Ormesson pour l’avoir pendu haut et court, à l’époque. Ma reconnaissance éternelle. Il m'a réhabilité avant même qu'il ne soit trop tard.

A moins qu’il ne se soit rien passé de tout cela. J’ai toujours rêvé de jouer de la trompette ou de la batterie. J’ai eu deux guitares. Et en guise de romans pompeux, j’ai rempli des fiches descriptives de maisons, d’appartements et de terrains à vendre dans une banlieue cossue au-dessus de laquelle des avions long courrier déversaient leur trop-plein de kérosène. J’ai vendu des pavillons de banlieue sur des lots rectangulaires de 500 m² au prix de villas bourgeoises. Sans plus de scrupules que si j’avais réellement commis ces horribles bouquins. En guise de mannequins translucides, j’ai croisé des ménagères en peignoir Carrefour dans des maisons qui sentaient le chien mouillé.

*

[...]

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Commentaires
J
The boy with the thorn in his side ?
A
And who do you think I think you are?
S
Ave! Continuez dans cette voie jeune homme...Il parait que les éditeurs ne lisent que les trois premieres pages d'un manuscrit avant d'aller plus loin....<br /> Cette entrée en matière: "Toutes les cinq minutes, l’extinction de l’écran de mon ordinateur..." donne envie d'en savoir plus sur cet individu qui manifestement "sait ou pense" qu'il a un destin littéraire.<br /> Grace à internet, il existe un autre genre d'éditeur : lulu.com, allez voir ce site et encouragements...
B
Carmen : je n'mange pas de ce pain-là ! Je tiens à mes fesses ;)<br /> <br /> Post partum on the wood (and around the clock) : Tu prends pour témoin quelqu'Un auprès de qui il faudra(it) rendre des comptes. T'es gonflé, quand même. Ceci étant dit, j'accepte tes plates explications ; mon état ayant peut-être altéré mes facultés - déjà peu développées.
P
Attribuons au manque de sommeil cette surprenante altération de ton jugement. Car, Dieu m'est témoin, il n'y avait pas l'once d'un sarcasme dans mon enthousiaste coup de chapeau. L'imprimante en gésine, c'est fichtrement bien trouvé. Même si, je l'admets, cela ne suffit probablement pas pour faire de toi ipso facto un nobélisable.
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